05 Jan Le Chœur d’enfants : « Reach for the Sky! »
I
Le Chœur d’enfants Rhizomes Bagnolet : « Reach for the Sky !
Le projet Rhizomes est issu directement d’un travail sur le terrain de l’enseignement dans les écoles et les conservatoires et le terrain de la réalisation artistique réunissant amateurs et professionnels.
Claire Caillard-Hayward travaille au conservatoire de Bagnolet depuis de nombreuses années où elle dirige la chorale des enfants et assiste son mari, Berry Hayward, dans les créations musicales élaborées au sein du département de musique ancienne. Depuis quinze ans elle est détachée auprès des écoles dans un projet intitulé : « La chorale à l’école ». Elle a pu constater jusqu’à quel point l’enseignement artistique est complètement absent de l’enseignement général des enfants de l’école primaire. Elle a vite compris que sa présence au sein de l’école comblait en partie cette carence mais seulement de manière fragmentaire bien que les élèves aient pu monter avec elle des projets très ambitieux, multiculturels et contemporains : sur le plan statutaire elle est obligée de rencontrer le plus d’élèves possible et par voie de conséquence elle doit changer de classe tous les ans, ce qui ne lui permet pas de poursuivre son travail pédagogique et artistique de façon à ce que les enfants puissent connaître un réel approfondissement de leurs acquis et de leurs savoirs musicaux. Toutefois, par le fait d’être toujours « dans les parages », au cours des années, de nombreux enfants ont pu lui manifester leur désir d’aller plus loin, d’accroître le nombre de rencontres en répétition, d’élargir les répertoires. Ils ont pu aussi exprimer leur profond plaisir de la rencontre elle-même, sur le plan social, le fait de se retrouver pour chanter contribuant de manière évidente à rendre leur relation à l’institution scolaire plus conviviale et plus sereine.
C’est à la suite de cette demande de la part de ces enfants que Claire Caillard-Hayward a décidé de créer le Chœur d’enfants Rhizomes Bagnolet qui se réunit en dehors des horaires scolaires deux à trois fois par mois dans la perspective d’un travail de plus long terme et de pérenniser ainsi l’activité chorale selon les désirs exprimés par les enfants.
Parallèlement à cette activité d’enseignement au sein des écoles primaires de Bagnolet et au Conservatoire de Bagnolet, Claire Caillard-Hayward et son mari mènent les projets musicaux des ensembles amateurs de la Maison des métallos. En 2003 le premier directeur de la Maison des métallos, Gérard Paquet, leur a demandé de créer une chorale d’adultes, des chorales d’enfants, un orchestre amateur et de diriger des ateliers de formation auprès de professionnels intermittents du spectacle : chanteurs, metteurs en scène, dramaturges, régisseurs…Cette activité musicale a été tout de suite orientée sur les problématiques de l’échange culturel et de la réalisation de concerts qui réuniraient les amateurs de la Maison des métallos et de grands professionnels issus de cultures plus ou moins proches de la culture française. Depuis 2003, avec ces ensembles, ils ont pu réaliser des projets musicaux ambitieux avec des musiciens invités du Yémen, du Mali, de la Turquie, des Etats-Unis, d’Amérique Latine, de l’Afrique du Nord et de la Palestine. Les ensembles ont été amenés à interpréter ces répertoires en langue arabe, turque, espagnol, anglais, bambara, italien…Cette initiation culturelle intense à des cultures de tradition orale qui intègrent pleinement le phénomène de l’interprétation à travers l’improvisation a débouché sur des créations contemporaines, électro acoustiques et de jazz avec des compositeurs argentins et italiens et des musiciens improvisateurs comme Tom McClung, Timothy Hayward, Steve Potts, John Betsch….Cette approche multiculturelle a permis aussi à Claire Caillard-Hayward et à Berry Hayward d’introduire ces ensembles à des répertoires anciens, du Moyen-Âge, de la Renaissance et de l’époque baroque en jetant un regard nouveau sur ce patrimoine qu’ils explorent à la lumière des recherches ethnomusicologiques et comparatives historiques de la longue durée dans l’esprit d’Antoine Geoffroy-Dechaume.
L’expérience artistique à la Maison des métallos a renforcé le désir de Claire Caillard-Hayward et de Berry Hayward de mettre en avant la multi culturalité riche et profonde des publics enfantins des écoles primaires de Bagnolet. Là où la multi culturalité semble parfois être un obstacle dans le cadre de certains cursus institutionnels, sur le plan de la musique et de l’art il leur semble évident que, au contraire, cette diversité des cultures ne peut que enrichir les répertoires, créer du lien et contribuer à mieux ancrer l’enracinement des enfants sur le plan identitaire dans leur transition entre leur culture d’origine et la culture française. Le projet Rhizomes épouse complètement la conception de la relation telle que l’exprime le poète antillais Edouard Glissant : nous vivons aujourd’hui dans un tout monde caractérisé métaphoriquement par l’archipel, un archipel des cultures constitué d’îles reliées entre elles par le temps du voyage et la pause, la « parenthèse » de la rencontre, un agencement fluide de cultures dont l’aboutissement à terme serait la création de nouvelles cultures à travers le phénomène de la créolisation. Il s’agit alors, du point de vue d’Édouard Glissant, de faire fructifier un métissage, qui est d’ailleurs un fait incontournable de notre histoire contemporaine, et d’encourager enfin un exil désiré qui s’opposerait à l’exil forcé des migrations traumatiques et parfois mortifères et qui s’opposerait aussi à la violence de l’exclusion, du rejet de l’Autre. Notre monde contemporain est un monde multi culturel : il faut que l’on tire tout le profit possible de cette mutualisation des savoirs et des histoires. L’art y joue par excellence un rôle essentiel : il en constitue en effet un catalyseur puissant au cœur du creuset culturel ; il permet d’en symboliser le processus de transformation, de le sublimer et de le fixer dans des œuvres qui incarnent le patrimoine du futur.
Cette multi culturalité qui est au cœur de l’activité musicale de Rhizomes est d’autant plus importante que les institutions musicales spécialisées ne l’ont pas encore intégrée. Les enfants qui participent au projet Rhizomes sont dans l’ensemble des enfants qui n’iront pas au conservatoire, souvent pour des raisons sociales et culturelles, entretenant parfois le sentiment que ces institutions spécialisées ne leur « appartiennent pas », même si la politique de la ville encouragerait leur venue. L’activité Rhizomes essaie de répondre à cette carence de formation et de réconcilier les enfants à la formation musicale à travers l’apprentissage direct par imitation des répertoires et par leur seule réalisation en concert : c’est-à-dire de ne pas faire appel au solfège et autres activités académiques, d’éviter la notion contraignante de cycles d’évaluation de niveau, de mettre l’accent sur l’apprentissage oral et de renforcer l’identification culturelle profonde des enfants avec les cultures de leurs parents et grands-parents.
Il est important de souligner que le temps d’apprentissage de l’enfant est un temps lent, que le monde de l’enfant est, au niveau de ses relations familiales et au niveau de ses relations culturelles, un temps long : l’intégration des idées abstraites de la vie intellectuelle et l’intégration des différents paramètres familiaux et sociaux s’inscrit dans une longue durée. Idéalement l’intégration intellectuelle, comme l’intégration culturelle, devient petit à petit, de fait, un projet de vie. D’une certaine façon le Conservatoire et l’École ont intégré cette idée de durée. Cependant, pour les enfants qui n’accèdent pas aux institutions spécialisées, ce qui leur est proposé généralement en termes de formation musicale et de formation artistique tout court est dans l’ensemble des cas de courte durée, stages ou ateliers trimestriels, et s’accompagne souvent d’activités de construction ou de bricolage qui ressemblent davantage à une forme d’ergothérapie approximative plutôt qu’à une véritable formation artistique. Les complexités du patrimoine, sa transmission, les outils nécessaires pour développer les techniques qui permettent la réalisation artistique effective sont abandonnées en faveur d’une activité pédagogique qui est peut-être ludique et agréable mais qui ne permet en aucun cas une véritable connaissance de l’art et de sa réalisation concrète et aboutie et, qui plus est, ne lui octroie pas les moyens d’accéder à une autonomie qui lui permettrait de travailler, d’approfondir et de poursuivre de manière indépendante et à terme sa propre recherche artistique. C’est pour cela que le projet Rhizomes, en termes de « temporalité », est un projet de la longue durée qui cherche à fidéliser les enfants, les invitant à concevoir leur participation sur un temps comprenant au moins plusieurs années et qui ne se réduit pas à de courts week-ends ou à des périodes scolaires limitées qui connaissent alors une forme de clôture qui contrarie la réalisation et l’apprentissage artistiques qui requièrent un temps d’élaboration longue et continue. Après tout, l’art surgit de l’imaginaire et cherche les moyens techniques et expressifs d’articuler le fantasme à l’épaisseur du monde extérieur, concret et réel. La vie psychique dans son exploration du monde et d’elle-même ne connaît pas de clôture ; tant qu’il y a de la vie elle y reste attentive et active. L’œuvre artistique incarne la représentation de cette énergie investigatrice qui ne cesse jamais, même la nuit quand elle est reprise par et à travers nos rêves. Même la nuit ! Peut-être ne devrait-on ajouter, surtout la nuit !
Les publics que le projet Rhizomes « cible » ce sont les enfants des milieux culturels qui auraient tendance à se sentir exclus, ou qui sont effectivement exclus, du mainstream des institutions culturelles et éducatives. Ce sentiment d’exclusion est lié certainement en premier lieu à un effet concomitant aux difficultés que les populations non européennes rencontrent à l’endroit de leur intégration à la société française. Ces communautés sont aussi « ciblées », identifiées, repérées, comme celles qui souffrent le plus de la précarité sur le plan économique et social.
Néanmoins, dans le contexte éducatif et artistique, le terme « ciblé » ou de « cible », qui est le terme consacré pour identifier les publics fragiles susceptibles de participer à ce genre de projet, ne nous satisfait pas pour deux raisons. Tout d’abord, sur le terrain, en ce qui nous concerne, il s’agit tout simplement des publics rencontrés dans les écoles bagnoletaises. Il s’agit des élèves qui sont assis devant nous sur les bancs de l’école. Claire Caillard-Hayward passe une journée par semaine au sein de l’École Jules Verne. Elle fait chanter toutes les classes de l’école. Tous les enfants y trouvent leur compte. Le terme « ciblé », qui appartient au vocabulaire du marketing, connote l’idée que l’intervenant artistique a procédé en amont à une étude de marché pour identifier ceux qui seraient les plus aptes à consommer ou bénéficier de son produit. De ce fait, le projet Rhizomes est ouvert à tous les enfants quelles que soient leurs origines sociales, économiques ou culturelles. En premier lieu, il n’existe pas un art des personnes inadaptées ou en souffrance sociale ou psychique. L’art en soi ne vise pas un public, il s’adresse à tout le monde, sans distinction. Ses paramètres techniques cherchent l’universalité. Il s’agit surtout de ne pas constituer des sous-groupes qui comporteraient justement des éléments d’exclusion par le fait de « sur-identifier » les populations que nous voulons atteindre, une orientation pédagogique qui entraîne inévitablement un appauvrissement du langage artistique. Au contraire, le projet Rhizomes encourage la mixité sociale et la complexité artistique et culturelle : le chœur Rhizomes Bagnolet reçoit des enfants issus des milieux les plus défavorisés que nous rencontrons à travers l’école aussi bien que des enfants de milieux plus aisés, souvent évoqués comme plus « homogènes », les populations types représentées dans les institutions artistiques spécialisées d’après certains sociologues. Le chœur Rhizomes est un lieu qui fédère les énergies des enfants au travers de répertoires issus de toutes les cultures représentées par les enfants eux-mêmes et encourage le respect de l’Autre et de ses origines. On cible une maladie, on cible un ennemi mais on ne cible pas les enfants : on les accueille, on les aide, on crée autant que faire se peut les conditions et l’environnement qui semblent propices à leur développement intellectuel et physique. On ne choisit pas les enfants. Cela ne veut pas dire que nous ne sommes pas particulièrement attentifs aux enfants en difficulté, mais nous devons rester ouverts à tous les enfants que nous rencontrons : d’une certaine façon ils sont tous en difficulté cependant que chacun possède en lui-même ou en elle-même des forces de vie pour aller de l’avant, des forces parfois insoupçonnées que l’éducateur et l’artiste instructeur ont le devoir de réveiller, de révéler et de conduire à l’épanouissement.
De manière concrète le chœur Rhizomes réalise quatre concerts par an pour le moment. Il se réunît deux ou trois samedis matin par mois. Cette rencontre du samedi matin se fait dans le cadre d’une salle qui est mise à disposition gracieusement par le directeur du conservatoire de Bagnolet et Est-ensemble. Le recrutement des enfants s’effectue à travers une collaboration très profonde avec différentes écoles de Bagnolet, en particulier, l’école Jules Verne (une école accueillant des populations particulièrement en difficulté). Cette activité reçoit l’appui de la ville de Bagnolet (subvention de la ville). Le chœur Rhizomes collabore régulièrement avec les ensembles de la Maison des métallos, la chorale du Conservatoire de Bagnolet et les ensembles invités du festival DENSITÉ 93 sous les auspices de Denis Gautheyrie.
II
« Only Reach for the Sky ! »
Ici nous abordons la notion d’investissement artistique et notre désir de donner aux jeunes des outils permanents et solides. Ici nous-nous efforçons d’offrir une description de l’activité artistique dans sa dimension éducative « philosophique », c’est-à-dire, d’essayer de faire ressortir jusqu’à quel point l’art impose à l’éducation des perspectives de réflexion qui s’inscrivent dans le « faire » de l’art, dans le cadre de contraintes imposées non seulement par la technique mais aussi par le positionnement éthique que l’art exige de l’artiste. Et à revers d’évoquer comment l’éducation conduit l’artiste à mieux définir, à mieux saisir, sa vocation.
L’art devient nécessité quand l’art représente un acte d’expression incontournable, lorsqu’une obligation intérieure, une pression personnelle, s’imposent à l’artiste : l’artiste ou le penseur, cherche à dire quelque chose d’indicible. La forme et les objets de son expression doivent s’adapter à cette nouvelle idée qui est là devant lui, mais invisible, impalpable, qui ne lui appartient pas en propre, qu’il cherche désespérément à capter. C’est une tension dont l’origine est tout aussi bien sociale et historique que mentale et personnelle : elle surgit à cet endroit précis où l’artiste doit se mouvoir et s’émouvoir dans toute l’épaisseur d’une réalité non contingente : l’artiste au sein du groupe de travail ou de sa communauté ou de sa famille, est sommé, pressé, de venir aux termes de phénomènes comme la migration, la guerre, la détresse économique, les rituels sociaux et familiaux, la religion, ses rêves, son histoire personnelle….. Cet art-là, celui qui est pressant, de nature péremptoire, fluide, insaisissable, s’avère être toujours innovant en soi car l’art probant, juste, qui répond de manière effective au doute et aux questionnements n’affirme jamais « oui, j’ai trouvé, ça ne peut être que ça » : il est, de ce fait, toujours déjà une forme de renouvellement : ce sont les multiples « renaissances » répétées dans l’Un dont parle le poète Yves Bonnefoy. Mais c’est en cela qu’il est alors, dans l’ensemble de ses manifestations, ressenti comme profondément troublant, difficile, problématique. La recherche artistique bien qu’elle propose des œuvres concrètes diffère ses solutions : elles ne sont jamais « terminales » ; elles sont toujours ouvertes. L’œuvre est toujours à faire et à refaire. Il s’agit d’un entretien infini entre l’imaginaire et l’héritage des savoirs acquis, établis. Maurice Blanchot disait que le malheur de la question est dans sa réponse. Il faut se laisser aller de réponse en réponse. L’art évite l’écueil de la clôture.
C’est du boulot. C’est parfois laborieux. C’est parfois un effort terrible. Ce n’est pas ludique en soi et ce n’est pas vraiment un « loisir ». Par contre cela crée le lien vital, cela soude les membres disparates d’un groupe à travers la création dont la fonction reste nourricière et l’expérience réjouissante, et déclenche les mécanismes de cet espoir qui est essentiel pour le vivre ensemble ; ce travail collectif et personnel entretient notre confiance en un avenir heureux, ou du moins, en un avenir possible, pour être plus précis. La joie est dans sa réalisation concrète, évidemment, néanmoins, elle provient certainement, en premier lieu, du fait que l’œuvre en elle-même reflétera comment sa fabrication, le processus, a accouché d’une idée nouvelle, d’une façon inédite de se regarder et de regarder les autres, de voir le monde ; elle a donné naissance à une idée dérangeante, voire fracassante, mais qui reste pourtant une idée de nature « pacifique » parce qu’elle ne détruit pas le groupe en dépit de son originalité, de son étrangeté et de toute sa force inhérente à nous contraindre au changement radical, à nous forcer à réajuster parfois brutalement les paramètres jusques-là stables de notre géographie interne. Au contraire, elle aura posé les bases d’un socle philosophique et moral renouvelé pour nous permettre de continuer à avancer et à bâtir la prochaine œuvre.
Cela requiert la longue durée, la régularité, la constance et un grand dévouement aussi bien de la part de l’équipe pédagogique et artistique que de la part des apprentis artistes. Cela demande de la technique dans le sens le plus profond: la précision, la concentration, l’attention, l’émulation des œuvres les plus puissantes des patrimoines culturels, c’est-à-dire, pour ce dernier point, la connaissance et la perspective historiques. C’est peut-être la définition même de l’éducation au sens large du terme. C’est certainement par là où un groupe rencontre ses expériences collectives les plus exaltantes. L’image que nous retenons est celle des chantiers gigantesques de la fresque italienne : les équipes se liguent ensemble pour créer une œuvre, la fresque—apprentis, peintres, architectes, ouvriers artisans plâtriers de stucs, menuisiers, charpentiers—tous sous les auspices du maître d’œuvre, d’un artiste architecte, d’un Giotto, d’un Della Piera ou d’un Michelangelo, dont, et ces derniers le savent, l’œuvre resterait lettre morte sans le concours des artisans et des artistes qui les accompagnent.
L’image de la conception et de la réalisation de la fresque est captée de manière merveilleuse dans le film Andréï Roublev de S. Tarkovski où elle se transmue en un hymne à l’espoir qui éclate à la fin du film lorsque l’enfant, pour sauver sa peau en temps de guerre, proclame qu’il peut réaliser la cloche de la nouvelle cathédrale si l’on lui en donne seulement les moyens de réunir autour de lui une équipe d’artisans mûrs et expérimentés ; puis, dans l’angoisse et le tourment, il réussit son coup dans la peine sous l’œil bienveillant du peintre d’icônes devenu muet, traumatisé par la guerre, la torture, la destruction de son œuvre et la perte de la femme qu’il aimait, qui reconnaît le profond talent de l’enfant indomptable bien qu’il sache que l’enfant a menti, qu’il doute profondément de lui-même, qu’il n’a jamais fabriqué auparavant une cloche ou fait couler du cuivre dans un moule. Le peintre sait que cet enfant joue sa vie et que c’est une des raisons pour lesquelles il sait qu’il va, qu’il doit, réussir : parce que sa vie en dépend. C’est sa seule issue. Cela devient sa raison d’être.
Justement, parce qu’il y a urgence aujourd’hui il faut que l’investissement éducatif au niveau des contenus soit profond, précis et concret et doit résonner comme le son accordé d’une cloche appelant à la réjouissance collective. Et pour que cela ait un sens durable cela ne peut se faire sans la coopération, l’énergie, l’enthousiasme et le culot de la jeunesse, que les générations doivent s’unir pour accomplir la tâche collective, que la génération des adultes doit encadrer les jeunes pour que ces derniers puissent entrer de plein pied dans l’Histoire et pour que nous, les adultes, éducateurs et artistes, finissions à notre tour, et peut-être même à notre insu, par les suivre. Cela implique que la formation individuelle de long terme restera au cœur de notre réflexion éducative. Un groupe musical est toujours la somme des individus réunis, de leurs qualités, de leurs points forts (strengths) et de leurs fragilités auxquelles nous essayons de remédier.
Et pour tout cela il faut être très ambitieux pour les jeunes, comme l’éducateur et l’artiste visionnaire du Vénézuela, José Antonio Abreu, l’a été, et le reste, au sein du mouvement musical du Sistema qu’il a fondé. Maldoom Royston l’a été aussi pour les enfants des écoles de la banlieue berlinoise dans sa version du Sacre du Printemps réalisé en collaboration avec La Philharmonie de Berlin sous la direction de Simon Rattle. Pina Bausch l’a été dans Les rêves dansants. Tous ces grands pédagogues artistes, comme le pédiatre-éducateur polonais Janusz Korczak, comme le poète-musicien Bengali Rabindranath Tagore avant eux, ont insisté auprès des jeunes dont ils avaient la charge : Only reach for the sky!
Noisy-le-Sec
le 14 mars, 2016